Page:Tolstoï - Œuvres complètes vol1.djvu/373

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et cet avenir prend des formes variées, vivantes et séduisantes, sous l’influence d’un espoir basé, non sur l’expérience du passé, mais sur la possibilité imaginaire d’un bonheur ; et les seuls rêves, compris et partagés, sur le bonheur futur font déjà le vrai bonheur de cet âge. Dans les raisonnements métaphysiques, l’un de nos principaux sujets de conversation, j’aimais le moment où les pensées se suivent de plus en plus rapides, deviennent de plus en plus abstraites, et arrivent enfin à un tel degré d’obscurité qu’on ne voit plus la possibilité de les exprimer, et que, croyant dire ce que l’on pense, on dit tout à fait autre chose. J’aimais ce moment où, s’élevant de plus en plus haut dans le domaine de la pensée, on en comprend tout à coup l’infini, et l’on reconnaît l’impossibilité d’aller plus loin.

Une fois, pendant le carnaval, Nekhludov était si occupé par diverses distractions que, tout en venant à la maison plusieurs fois par jour, il ne me causa pas une seule fois. Cela me blessa tellement que de nouveau je le jugeai fier et désagréable. J’attendais seulement une occasion pour lui montrer que je ne tenais pas à sa société, et que je n’avais pour lui aucune affection particulière.

La première fois, après le carnaval, qu’il voulut de nouveau me causer, je lui dis que j’avais à préparer des leçons et j’allai en haut ; mais un quart