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Page:Tolstoï - Œuvres complètes vol1.djvu/94

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jours souriants, le nez long, aquilin, les lèvres irrégulières — qui ne se plissaient pas avec grâce, mais agréablement — il avait un défaut de prononciation, zézayait, et était presque entièrement chauve.

Tel était mon père, du plus loin que je me le rappelle, et tel quel, non seulement il s’était fait la réputation d’un homme à bonnes fortunes, mais il savait plaire à tous sans exception, aux hommes de classes et de fortunes diverses, et surtout à ceux à qui il voulait plaire.

Dans chacune de ses relations il gardait la supériorité. Sans avoir jamais été du très grand monde, il fréquentait toujours ce milieu et s’y fit estimer de tous. Il connaissait ce degré précis d’orgueil et de présomption, qui, sans blesser les autres, relève un homme dans l’opinion publique. Il était original, mais pas toujours, et il ne se servait de l’originalité que pour remplacer, dans certains cas, les belles manières ou les richesses. Rien au monde ne pouvait exciter son étonnement : dans quelque situation brillante qu’il se fût trouvé, il eût semblé né pour l’occuper. Il savait si bien cacher aux autres et s’éviter à lui-même, le côté ennuyeux de la vie, plein des petites contrariétés et des tracasseries fatales pour tous, qu’il était impossible de ne pas l’envier. Il connaissait tous les objets qui procurent les plaisirs et les agréments et il en savait user. Son dada