— Oui, sans doute, il arrive de ces épisodes critiques dans la vie conjugale, dit l’avocat, désirant mettre fin à cette conversation qui devenait par trop vive.
— Si je ne me trompe vous avez deviné qui je suis ? dit-il doucement.
— Non, je n’ai pas ce plaisir.
— Le plaisir n’est pas bien grand. Je suis Pozdnichev, celui à qui arriva cet épisode critique auquel vous venez de faire allusion : j’ai tué ma femme, dit-il en jetant un regard sur chacun de nous.
Nous nous taisions, ne sachant que dire.
— Qu’importe d’ailleurs, dit-il, refoulant un sanglot. Excusez-moi, je ne veux pas vous gêner.
— Mais non, excusez… dit l’avocat ne sachant lui-même ce qu’il fallait « excuser ».
Mais Pozdnichev, sans l’écouter, se détourna brusquement et reprit sa place. Le monsieur et la dame chuchotaient quelque chose entre eux. J’étais assis en face de Pozdnichev ne sachant que dire. Il faisait noir ; je fermai les yeux et feignis de dormir. Nous arrivâmes ainsi, en silence, jusqu’à la station suivante. Là, l’avocat et la dame changèrent de wagon, ce qui était convenu auparavant avec le conducteur. Le commis s’installa sur la banquette et s’endormit. Pozdnichev continuait à fumer et buvait le thé qu’il s’était procuré à la station précédente.