La vieille bonne leva les yeux sur moi. Il me sembla qu’elle me comprenait. « Je ne puis pas ne pas entrer » me dis-je. J’ouvris brusquement la porte. Il était assis devant le piano et de ses longs doigts blancs recourbés, exécutait des arpèges. Elle se tenait debout, dans la courbure du piano à queue, devant la partition ouverte. Elle me vit ou m’entendit la première et leva les yeux sur moi. Fut-elle saisie, fit-elle mine de ne pas avoir peur, ou, en effet ne fut-elle pas effrayée ? En tout cas elle ne tressaillit pas et ne bougea pas. Elle rougit mais un peu après seulement. « Je suis contente que tu sois venu. Nous n’avons pas décidé ce que nous jouerons dimanche », dit-elle d’un ton qu’elle n’eut pas eu si nous avions été seuls.
Ce ton, cette façon de dire « nous » en parlant de lui et d’elle, me révolta. Je le saluai sans mot dire.
Il me serra la main et, tout de suite, avec un sourire qui me parut moqueur, il m’expliqua qu’il avait apporté de la musique pour préparer ce qu’ils joueraient dimanche et qu’ils étaient en désaccord sur le morceau à choisir : des choses difficiles, classiques, notamment une sonate de Beethoven, ou des morceaux légers ? Tout cela était si naturel, si simple, qu’il n’y avait pas moyen d’y trouver à redire. En même temps je voyais, j’étais sûr, que c’était faux, qu’ils s’entendaient pour me tromper.
Une des situations les plus pénibles pour les