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Page:Tolstoï - Œuvres complètes vol27.djvu/370

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au moins, on ne doutera plus. Une chose m’empêcha de le faire : la pitié, la pitié pour moi-même, qui éveillait en même temps ma haine pour elle. Envers lui j’éprouvais le sentiment étrange de mon humiliation et de sa victoire, mais pour elle une haine terrible. « Non, je ne peux pas me tuer et la laisser libre ! Il faut qu’elle souffre ; il faut qu’elle sache au moins que j’ai souffert », me disais-je. Je sortais à toutes les gares pour me distraire. Au buffet d’une gare je vis qu’on buvait et, tout de suite, j’allai avaler un verre d’eau-de-vie. À côté de moi, un juif buvait aussi. Il se mit à me parler, et moi, pour ne pas rester seul dans mon wagon, j’allai avec lui, en troisième classe, dans un wagon sale, enfumé, plein de pelures, de graines de tournesol. Là, je me mis à côté de lui. Il bavardait et racontait beaucoup d’anecdotes. Je l’écoutais mais ne pouvais comprendre ce qu’il disait parce que je continuais à penser à mon sujet. Il le remarqua et exigea de moi que je fisse attention. Alors je me levai et retournai dans mon wagon. « Il faut reflécliir, me dis-je, voir si ce que je pense est vrai, si j’ai des raisons de me tourmenter ». Je m’assis pour réfléchir tranquillement, mais tout de suite, au lieu de réflexions calmes, la même chose recommença : au lieu de raisonnements, des tableaux et des images. « Que de fois me suis-je tourmenté ainsi, songeais-je me rappelant des accès antérieurs et pareils de jalousie,