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un vif désir de la marier d’après ses idées de bonheur conjugal : c’était à Wronsky qu’elle voulait la marier. Levine, qu’elle avait souvent rencontré chez les Cherbatzky au commencement de l’hiver, lui avait toujours déplu, et son occupation favorite, quand elle le voyait, était de le taquiner.

« J’aime assez qu’il me regarde du haut de sa grandeur, qu’il ne m’honore pas de ses conversations savantes, parce que je suis trop bête pour qu’il condescende jusqu’à moi. Je suis enchantée qu’il ne puisse pas me souffrir », disait-elle en parlant de lui.

Elle avait raison, en ce sens que Levine ne pouvait effectivement pas la souffrir, et méprisait en elle ce dont elle se glorifiait, le considérant comme une qualité : sa nervosité, son indifférence et son dédain raffiné pour tout ce qu’elle jugeait matériel et grossier.

Entre Levine et la comtesse Nordstone il s’établit donc ce genre de relations qu’on rencontre assez souvent dans le monde, qui fait que deux personnes, amies en apparence, se dédaignent au fond à tel point qu’elles ne peuvent même plus être froissées l’une par l’autre.

La comtesse entreprit Levine aussitôt.

« Ah ! Constantin-Dmitritch ! vous voilà revenu dans notre abominable Babylone, — dit-elle en tendant sa petite main sèche et en lui rappelant qu’il avait au commencement de l’hiver appelé Moscou une Babylone. — Est-ce Babylone qui s’est convertie, ou vous qui vous êtes corrompu ? ajouta-t-elle