Page:Tolstoï - Anna Karénine, 1910, tome 1.djvu/116

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— Voilà ce qui vous semble ! Mais si en fin de compte elle s’en éprend, et que lui songe à se marier autant que moi ? Je voudrais n’avoir pas d’yeux pour voir tout cela ! Et le spiritisme, et Nice, et le bal… (ici le prince, s’imaginant imiter sa femme, accompagna chaque mot d’une révérence). Nous serons fiers quand nous aurons fait le malheur de notre petite Catherine, et qu’elle se sera fourré dans la tête…

— Mais pourquoi penses-tu cela ?

— Je ne pense pas, je sais ; c’est pour cela que nous avons des yeux, nous autres, tandis que les femmes n’y voient goutte. Je vois, d’une part, un homme qui a des intentions sérieuses, c’est Levine ; de l’autre, un bel oiseau comme ce monsieur, qui veut simplement s’amuser.

— Voilà bien des idées à toi !

— Tu te les rappelleras, mais trop tard, comme avec Dachinka.

— Allons, c’est bon, n’en parlons plus, dit la princesse que le souvenir de la pauvre Dolly arrêta net.

— Tant mieux, et bonsoir ! »

Les époux s’embrassèrent en se faisant mutuellement un signe de croix, selon l’usage, mais chacun garda son opinion ; puis ils se retirèrent.

La princesse, tout à l’heure si fermement persuadée que le sort de Kitty avait été décidé, dans cette soirée, se sentit ébranlée par les paroles de son mari. Rentrée dans sa chambre, et songeant avec terreur