Page:Tolstoï - Anna Karénine, 1910, tome 1.djvu/166

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certaine timidité, je suis tout simplement venu te voir. »

L’air craintif de son frère adoucit Nicolas.

« Ah ! c’est ainsi, dit-il avec une grimace ; dans ce cas, entre, assieds-toi ; veux-tu souper ? Macha, apporte trois portions. Non, attends. Sais-tu qui c’est ? dit-il à son frère en désignant l’individu mal vêtu. C’est M. Kritzki, mon ami ; je l’ai connu à Kiew ; c’est un homme très remarquable. La police le persécutait, naturellement parce que ce n’est pas un lâche. »

Et il regarda chacun des assistants, comme il faisait toujours après avoir parlé ; puis, s’adressant à la femme qui était sur le point de sortir, il cria :

« Attends, te dis-je ! » Il regarda encore chacun et se mit à raconter, avec la difficulté de parole que connaissait trop bien Constantin, toute l’histoire de Kritzki : comment il avait été chassé de l’Université pour avoir voulu fonder une société de secours et des écoles du dimanche ; comment il avait ensuite été nommé instituteur primaire pour être aussitôt chassé ; comment il avait été mis en jugement on ne sait pourquoi.

« Vous êtes de l’Université de Kiew ? demanda Constantin à Kritzki pour rompre un silence gênant.

— Oui, j’en ai été, répondit Kritzki, en fronçant le sourcil d’un air mécontent.

— Et cette femme, interrompit Nicolas en la désignant, c’est Maria-Nicolaevna, la compagne de ma vie. Je l’ai prise dans une maison, mais je l’aime et je l’estime, et tous ceux qui veulent me connaître