Page:Tolstoï - Anna Karénine, 1910, tome 1.djvu/17

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s’apercevrait ensuite qu’il a cette excuse que, là où il n’a pas lu, elle était blanche.

Peut-être dira-t-on que pour tomber amoureuse de Vronski il suffit d’être la femme de Karénine. Il est possible ; mais alors nous voudrions savoir pourquoi Anna a épousé Karénine, pourquoi elle l’a épousé évidemment malgré elle, pourquoi elle l’a épousé sans l’aimer. En un mot pour nous rendre bien compte du caractère tout entier d’Anna Karénine il faudrait que nous connussions son histoire depuis sa quinzième année jusqu’à sa trentième.

Croyez bien que de tous les personnages d’un roman, pour qu’on s’intéresse à eux, il faut connaître sommairement toute l’histoire ; mais qu’au moins du personnage principal il faut toujours connaître toute l’histoire psychologique, depuis son éducation par les autres, jusqu’à son éducation par lui-même, jusqu’à ses premiers contacts avec la vie, enfin jusqu’au moment précis où vous le faites entrer dans l’épisode que vous voulez raconter.

Ceci me parait la seule lacune vraiment grave d’Anna Karénine. Ce n’est ni dans un ouvrage de Dickens ni dans un ouvrage de Thackeray ni dans un ouvrage de Balzac ni dans un ouvrage de Flaubert que cette faute eût été commise.

Il n’en reste pas moins qu’Anna Karénine est un des grands ouvrages du siècle ; que, par sa curiosité psychologique ; que, par l’art de dessiner des types,