Page:Tolstoï - Anna Karénine, 1910, tome 1.djvu/185

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— Dieu sait ce qui serait arrivé sans toi ! Combien tu es heureuse, Anna ! dit Dolly : tout est clair et pur dans ton âme.

— Chacun a ses skeletons dans son âme, comme disent les Anglais.

— Quels skeletons peux-tu avoir ? En toi tout est clair !

— J’ai les miens ! — s’écria tout à coup Anna, et un sourire inattendu, rusé, moqueur, plissa ses lèvres malgré ses larmes.

— Dans ce cas, ce sont des skeletons amusants, et non pas tristes, répondit Dolly en souriant.

— Oh non ! ils sont tristes ! Sais-tu pourquoi je pars aujourd’hui au lieu de demain ? C’est un aveu qui me pèse, mais que je veux te faire », dit Anna en s’asseyant d’un air décidé dans un fauteuil, et en regardant Dolly bien en face.

À son grand étonnement, Dolly vit qu’Anna avait rougi jusqu’au blanc des yeux, jusqu’aux petits frisons noirs de sa nuque.

« Oui, continua Anna, sais-tu pourquoi Kitty n’est pas venue dîner ? Elle est jalouse de moi… j’ai été cause que ce bal, au lieu d’être une joie pour elle, a été un martyre. Mais vraiment, vraiment, je ne suis pas coupable, ou, si je le suis, c’est bien peu, dit-elle en appuyant sur le dernier mot.

— Oh ! comme tu as ressemblé à Stiva en disant cela », dit Dolly en riant.

Anna s’offensa.

« Oh non, non ! Je ne suis pas Stiva, dit-elle en