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Page:Tolstoï - Anna Karénine, 1910, tome 1.djvu/275

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partait de cette donnée, que le tempérament du travailleur est un fait aussi absolu que le climat et la nature du sol ; la science agronomique, selon lui, devait tenir compte au même degré de ces trois éléments.

Sa vie fut donc très remplie, malgré sa solitude ; la seule chose qui lui manquât fut la possibilité de communiquer les idées qui se déroulaient dans sa tête à d’autres qu’à sa vieille bonne ; aussi avait-il fini par raisonner avec celle-ci sur la physique, les théories d’économie rurale, et surtout sur la philosophie, car c’était le sujet favori d’Agathe Mikhaïlovna.

Le printemps fut assez tardif. Pendant les dernières semaines du carême, le temps fut clair, mais froid. Quoique le soleil amenât pendant le jour un certain dégel, il y avait au moins sept degrés la nuit ; la croûte que la gelée formait sur la neige était si dure qu’il n’y avait plus de routes tracées.

Le jour de Pâques se passa dans la neige ; tout à coup, le lendemain, un vent chaud s’éleva, les nuages s’amoncelèrent, et pendant trois jours et trois nuits une pluie tiède et orageuse ne cessa de tomber ; le vent se calma le jeudi, et il s’étendit alors sur la terre un brouillard épais et gris comme pour cacher les mystères qui s’accomplissaient dans la nature : les glaces qui craquaient et fondaient de toutes parts, les rivières en débâcle, les torrents dont les eaux écumeuses et troublées s’échappaient avec violence. Vers le soir, on vit sur la colline Rouge le brouillard se déchirer, les nuages se dissiper en moutons blancs, et