Page:Tolstoï - Anna Karénine, 1910, tome 1.djvu/310

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sait avec qui. Oh non ! Les aristocrates sont pour moi des hommes qui peuvent montrer dans leur passé trois ou quatre générations honnêtes, appartenant aux classes les plus cultivées (ne parlons pas de dons intellectuels remarquables, c’est une autre affaire), n’ayant jamais fait de platitudes devant personne, et n’ayant eu besoin de personne, comme mon père et mon grand-père. Et je connais beaucoup de familles semblables. Pour toi, tu fais des cadeaux de 30 000 roubles à un coquin, et tu me trouves mesquin de compter mes arbres ; mais tu recevras des appointements, et que sais-je encore, ce que je ne ferai jamais. Voilà pourquoi j’apprécie ce que m’a laissé mon père et ce que me donne mon travail, et je dis que c’est nous qui sommes les aristocrates, et non pas ceux qui vivent aux dépens des puissants de ce monde, et qui se laissent acheter pour 20 kopecks !

— À qui en as-tu ? je suis de ton avis, — répondit gaiement Oblonsky en s’amusant de la sortie de son ami, tout en sentant qu’elle le visait. — Tu n’es pas juste pour Wronsky ; mais il n’est pas question de lui. Je te le dis franchement : à ta place, je partirais pour Moscou et…

— Non ; je ne sais si tu as connaissance de ce qui s’est passé, et du reste cela m’est égal… J’ai demandé Catherine Alexandrovna, et j’ai reçu un refus qui me rend son souvenir pénible et humiliant.

— Pourquoi cela ? quelle folie !

— N’en parlons plus. Excuse-moi si tu m’as