Page:Tolstoï - Anna Karénine, 1910, tome 1.djvu/332

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existait un lien sérieux dont la signification lui échappait.

Serge faisait effectivement de vains efforts pour comprendre comment il devait se comporter avec ce monsieur ; il avait deviné, avec la finesse d’intuition propre à l’enfance, que son père, sa gouvernante et sa bonne le considéraient avec horreur, tandis que sa mère le traitait comme son meilleur ami.

« Qu’est-ce que cela signifie ? qui est-il ? faut-il que je l’aime ? et si je n’y comprends rien, est-ce ma faute et suis-je un enfant méchant ou borné ? » pensait le petit. De là sa timidité, son air interrogateur et méfiant, et cette mobilité d’humeur qui gênait tant Wronsky. D’ailleurs, en présence de l’enfant, il éprouvait toujours l’impression de répulsion, sans cause apparente, qui le poursuivait depuis un certain temps. Wronsky et Anna étaient semblables à des navigateurs auxquels la boussole prouverait qu’ils vont à la dérive, sans pouvoir arrêter leur course ; chaque minute les éloigne du droit chemin, et reconnaître ce mouvement qui les entraîne, c’est aussi reconnaître leur perte ! L’enfant avec son regard naïf était cette implacable boussole ; tous deux le sentaient sans vouloir en convenir.

Ce jour-là, Serge ne se trouvait pas à la maison ; Anna était seule, assise sur la terrasse, attendant le retour de son fils, que la pluie avait surpris pendant sa promenade. Elle avait envoyé une femme de chambre et un domestique à sa recherche. Vêtue d’une robe blanche, garnie de hautes broderies, elle était