Page:Tolstoï - Anna Karénine, 1910, tome 1.djvu/41

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un moment, puis, se levant vivement, elle se dirigea vers la porte.

« Elle aime cependant mon enfant, pensa Oblonsky, remarquant l’effet produit par le cri du petit. Comment alors me prendrait-elle en horreur ?

— Dolly, encore un mot ! insista-t-il en la suivant.

— Si vous me suivez, j’appelle les domestiques, les enfants ! qu’ils sachent tous que vous êtes un lâche ! Je pars aujourd’hui, et vous n’avez qu’à vivre ici avec votre maîtresse ! »

Elle sortit en fermant violemment la porte.

Stépane Arcadiévitch soupira, s’essuya la figure et quitta doucement la chambre.

« Matvei prétend que cela s’arrangera, mais comment ? Je n’en vois pas le moyen. C’est affreux ! et comme elle a crié d’une façon vulgaire ! se dit-il en pensant aux mots lâche et maîtresse. Pourvu que les femmes de chambre n’aient rien entendu. »

C’était un vendredi ; dans la salle à manger l’horloger remontait la pendule ; Oblonsky, en le voyant, se souvint que la régularité de cet Allemand chauve lui avait fait dire un jour qu’il devait être remonté lui-même pour toute sa vie, dans le but de remonter les pendules. Le souvenir de cette plaisanterie le fit sourire.

« Et qui sait au bout du compte si Matvei n’a pas raison, pensa-t-il, et si cela ne s’arrangera pas ?

— Matvei, cria-t-il, qu’on prépare tout au petit salon pour recevoir Anna Arcadievna.