Page:Tolstoï - Anna Karénine, 1910, tome 1.djvu/427

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— Mais si je ne la regarde pas encore comme bonne, cette œuvre, dit Levine en rougissant.

— Comment cela ? tu viens de dire…

— Je veux dire que l’expérience n’a pas encore démontré qu’elle fût vraiment utile.

— Tu n’en sais rien, puisque tu n’as pas fait le moindre effort pour t’en convaincre.

— Eh bien ! admettons que l’instruction du peuple soit un bien, dit Constantin sans la moindre conviction ; mais pourquoi irai-je m’en tourmenter, moi ?

— Comment, pourquoi ?

— Explique-moi ton idée au point de vue philosophique, puisque nous en sommes là.

— Je ne vois pas que la philosophie ait rien à faire là, répondit Serge d’un ton qui parut à son frère établir des doutes sur son droit de parler philosophie.

— Voici pourquoi, dit-il, mécontent et s’échauffant tout en parlant. Selon moi, le mobile de nos actions restera toujours notre intérêt personnel. Or je ne vois rien dans nos institutions provinciales qui contribue à mon bien-être. Les routes ne sont pas meilleures, et ne peuvent pas le devenir : d’ailleurs, mes chevaux me conduisent tout aussi bien par de mauvais chemins. Je ne fais aucun cas des médecins et des pharmacies. Le juge de paix m’est inutile. Jamais je n’ai eu recours à lui, et jamais l’idée d’avoir recours à lui ne me viendra. Les écoles, non seulement me paraissent inutiles, mais, comme je te l’ai expliqué, me font du tort. Quant aux institutions