Page:Tolstoï - Anna Karénine, 1910, tome 1.djvu/434

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barbe, vêtu d’une jaquette en peau de mouton, lui adressât le premier la parole :

« Attention, Barine, quand on commence une besogne, il faut la terminer ! dit-il, et Levine entendit un rire étouffé parmi les faucheurs.

« Je tâcherai de ne pas me laisser dépasser, répondit-il en se plaçant derrière Tite.

— Attention, » répéta le vieux.

Tite lui ayant fait place, il emboîta le pas derrière lui. L’herbe était courte et dure ; Levine n’avait pas fauché depuis longtemps, et, troublé par les regards fixés sur lui, il débuta mal, quoiqu’il maniât vigoureusement la faux.

Deux voix derrière lui disaient :

« Mal emmanché, il tient la faux trop haut : regarde comme il se courbe.

— Appuie davantage le talon.

— Ce n’est pas mal, il s’y fera, dit le vieux ; le voilà parti ; tes fauchées sont trop grandes, tu te fatigueras vite. Jadis nous aurions reçu des coups pour de l’ouvrage fait comme cela. »

L’herbe devenait plus douce, et Levine, écoutant les observations sans y répondre, suivait Tite ; ils firent ainsi une centaine de pas. Le paysan marchait sans s’arrêter, mais Levine s’épuisait, et craignait de ne pas arriver jusqu’au bout ; il allait prier Tite de s’interrompre, lorsque celui-ci fit halte de lui-même, se baissa, prit une poignée d’herbe, en essuya sa faux et se mit à l’affiler. Levine se redressa, et jeta un regard autour de lui avec un sou-