Page:Tolstoï - Anna Karénine, 1910, tome 1.djvu/441

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le vieux déclara « aux enfants » que, si la colline était fauchée, on aurait la goutte.

« Pourquoi pas ! En avant, Tite, nous enlèverons cela en un tour de main. On mangera la nuit. — En avant ! » crièrent quelques voix ; et, tout en achevant leur pain, les faucheurs se levèrent.

« Allons, enfants, courage ! dit Tite en ouvrant la marche au pas de course.

— Allons, allons ! répéta le vieux, se hâtant de les rejoindre : si j’arrive le premier, je coupe tout ! »

Vieux et jeunes fauchèrent à l’envi, et, quelque hâte qu’ils fissent, les rangées se couchaient nettes et régulières, sans que l’herbe fût abîmée. Les derniers faucheurs terminaient à peine leur ligne, que les premiers, mettant leurs caftans sur l’épaule, prenaient déjà la route de la colline. Le soleil descendait derrière les arbres, lorsqu’ils atteignirent le petit ravin ; l’herbe y venait à la ceinture, tendre, douce, épaisse et semée de fleurs des bois.

Après un court conciliabule pour décider si l’on prendrait en long ou en large, un grand paysan à barbe noire, Piotr Ermilitch, un faucheur célèbre, fit en long le premier tour, et revint sur ses pas. Tous alors le suivirent, montant du ravin à la colline pour sortir sur la lisière du bois.

Le soleil disparaissait peu à peu derrière la forêt ; la rosée tombait déjà ; les faucheurs n’apercevaient plus le globe brillant que sur la hauteur, mais dans le ravin, d’où s’élevait une vapeur blanche, et sur le versant de la montagne, ils marchaient dans une