Page:Tolstoï - Anna Karénine, 1910, tome 1.djvu/445

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La pauvre femme est toute seule. Ma belle-mère est encore à l’étranger avec tout son monde. »

« J’irai certainement la voir, dit Levine. Tu devrais venir avec moi. C’est une si excellente femme, n’est-ce pas ?

— Leur terre n’est pas loin d’ici ?

— À une trentaine de verstes, peut-être à une quarantaine ; mais la route est très bonne. Nous ferions cela rapidement.

— Avec plaisir, dit Serge en souriant, car la vue de son frère le disposait à la gaieté. — Quel appétit ! ajouta-t-il en regardant ce cou et cette figure hâlés et rouges penchés sur l’assiette.

— Il est excellent. Tu ne t’imagines pas combien ce régime-là chasse de la tête toutes les sottises. J’entends enrichir la médecine d’un terme nouveau : « Arbeitscur ».

— Tu n’as pas grand besoin de cette cure, il me semble.

— Oui, mais c’est parfait pour combattre les maladies nerveuses.

— C’est une expérience à faire. J’ai voulu aller vous voir travailler, mais la chaleur était si insupportable que je me suis arrêté et reposé au bois ; de là j’ai continué jusqu’au bourg, et j’ai rencontré ta nourrice, que j’ai questionnée sur la façon dont les paysans te jugent ; j’ai cru comprendre qu’ils ne t’approuvent pas. « Ce n’est pas l’affaire des maîtres », m’a-t-elle répondu. Je crois que le peuple se forme en général des idées très arrêtées sur ce qu’il