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Page:Tolstoï - Anna Karénine, 1910, tome 1.djvu/451

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Daria Alexandrovna ; il se contentait de répondre respectueusement : « Impossible de rien obtenir, le monde est si mauvais », et ne bougeait pas.

La position eût été sans issue si chez les Oblonsky, comme dans la plupart des familles, il ne se fût trouvé ce personnage aussi utile qu’important, malgré ses attributions modestes, la bonne des enfants, Matrona Philémonovna. Celle-ci calmait sa maîtresse, lui assurait que tout se débrouillerait, et agissait sans bruit et sans embarras. Elle fit, aussitôt arrivée, la connaissance de la femme de l’intendant, et dès les premiers jours alla prendre le thé sous les acacias avec elle et son mari. C’est là que les affaires de la maison furent discutées. Un club, auquel se joignirent le starosta et le teneur de livres, se forma sous les arbres. Peu à peu, les difficultés de la vie s’y aplanirent. Le toit fut réparé ; une cuisinière, amie de la femme du starosta, arrêtée ; on acheta des poules ; les vaches donnèrent tout à coup du lait ; les clôtures furent réparées ; on mit des crochets aux armoires, qui cessèrent de s’ouvrirent intempestivement ; le charpentier installa la buanderie ; la planche à repasser, recouverte d’un morceau de drap de soldat, s’étendit de la commode au dossier d’un fauteuil, et l’odeur des fers à repasser se répandit dans la pièce où travaillaient les femmes de chambre.

« La voilà, dit Matrona Philémonovna en montrant la planche à sa maîtresse : il n’y avait pas de quoi vous désespérer. »