Page:Tolstoï - Anna Karénine, 1910, tome 1.djvu/560

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.

envoie-nous du lait caillé ou des framboises, dit Swiagesky en se tournant vers sa femme ; les framboises durent longtemps cette année. »

Et il se leva enchanté, et probablement persuadé qu’il venait de clore la discussion, tandis que Levine supposait qu’elle commençait seulement.

Levine continua à causer avec le vieux propriétaire ; il chercha à lui prouver que tout le mal venait de ce qu’on ne tenait aucun compte du tempérament même de l’ouvrier, de ses usages, de ses tendances traditionnelles ; mais le vieillard, comme tous ceux qui sont habitués à réfléchir seuls, entrait difficilement dans la pensée d’un autre, et tenait passionnément à ses opinions personnelles. Pour lui, le paysan russe était une brute qu’on ne pouvait faire agir qu’avec le bâton, et le libéralisme de l’époque avait eu le tort d’échanger cet instrument utile contre une nuée d’avocats.

« Pourquoi pensez-vous qu’on ne puisse pas arriver à un équilibre qui utilise les forces du travailleur et les rende réellement productives ? lui demanda Levine en cherchant à revenir à la première question.

— Avec le Russe, cela ne sera jamais : il faut l’autorité, s’obstina à répéter le vieux propriétaire.

— Mais où voulez-vous qu’on aille découvrir de nouvelles conditions de travail ? dit Swiagesky se rapprochant des causeurs, après avoir mangé du lait caillé et fumé une cigarette. N’avons-nous pas la commune avec la caution solidaire, ce reste de