Page:Tolstoï - Anna Karénine, 1910, tome 1.djvu/57

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apparaissaient entourés d’un nimbe mystérieux et poétique. Non seulement il ne leur découvrait aucun défaut, mais il leur supposait encore les sentiments les plus élevés, les perfections les plus idéales. Pourquoi ces trois jeunes demoiselles devaient parler français et anglais de deux jours l’un ; pourquoi elles devaient, à tour de rôle, jouer du piano (les sons de cet instrument montaient jusqu’à la chambre où travaillaient les étudiants) ; pourquoi des maîtres de littérature française, de musique, de danse, de dessin, se succédaient dans la maison ; pourquoi, à certaines heures de la journée, les trois demoiselles, accompagnées de Mlle Linon, devaient s’arrêter en calèche au boulevard de la Tverskoï et, sous la garde d’un laquais en livrée, se promener dans leurs pelisses de satin (Dolly en avait une longue, Nathalie une demi-longue, et Kitty une toute courte, qui montrait ses petites jambes bien faites, serrées dans des bas rouges) : ces choses et beaucoup d’autres lui restaient incompréhensibles. Mais il savait que tout ce qui se passait dans cette sphère mystérieuse était parfait, et ce mystère le rendait amoureux.

Il avait commencé par s’éprendre de Dolly l’aînée, pendant ses années d’études ; celle-ci épousa Oblonsky ; il crut alors aimer la seconde, car il sentait qu’il devait nécessairement aimer l’une des trois, sans savoir au juste laquelle. Mais Nathalie eut à peine fait son entrée dans le monde, qu’on la maria au diplomate Lvof. Kitty n’était qu’une enfant quand Levine quitta l’Université. Le jeune Cherbat-