Page:Tolstoï - Anna Karénine, 1910, tome 1.djvu/577

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quant indistinctement Dieu ou le diable ; elle était en lui aussi, et si cette fin inévitable ne venait pas aujourd’hui, elle viendrait demain, dans trente ans, qu’importe le moment ! Comment n’avait-il jamais songé à cela ?

« Je travaille, je poursuis un but, et j’ai oublié que tout finissait et que la mort était là, près de moi ! »

Accroupi sur son lit, dans l’obscurité, entourant ses genoux de ses bras, il retenait sa respiration dans la tension de son esprit. Plus il pensait, plus il voyait clairement que dans sa conception de la vie il n’avait omis que ce léger détail, la mort, qui viendrait couper court à tout, et que rien ne pouvait empêcher ! C’était terrible !

« Mais je vis encore. Que faut-il donc que je fasse maintenant ? » se demanda-t-il avec désespoir. Et, allumant une bougie, il se leva doucement, s’approcha du miroir et y examina sa figure et ses cheveux ; quelques cheveux gris se montraient déjà aux tempes, ses dents commençaient à se gâter ; il découvrit ses bras musculeux, ils étaient pleins de force. Mais ce pauvre Nicolas, qui respirait péniblement avec le peu de poumons qui lui restait, avait eu aussi un corps vigoureux. Et tout à coup il se souvint qu’étant enfants, le soir, lorsqu’on les avait couchés, leur bonheur était d’attendre que Fedor Bogdanowitch, leur précepteur, eût quitté la chambre pour se battre à coups d’oreiller, et rire, rire de si bon cœur, que la crainte du précepteur elle-même