Page:Tolstoï - Anna Karénine, 1910, tome 1.djvu/581

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sujet, répondit Levine, qui sentait le muscle de sa joue droite tressaillir involontairement.

— Tu n’as jamais eu de convictions, tu ne cherches qu’à flatter ton amour-propre.

— Très bien, mais alors laisse-moi tranquille.

— Certes oui, je te laisserai tranquille ! j’aurais déjà dû le faire. Que le diable t’emporte ! Je regrette fort d’être venu. »

Levine eut beau chercher à le calmer, Nicolas ne voulut rien entendre, et persista à dire qu’il valait mieux se séparer : Constantin dut s’avouer que la vie en commun n’était pas possible. Il vint cependant trouver son frère, lorsque celui-ci se prépara au départ, pour lui faire d’un ton un peu forcé des excuses, et le prier de lui pardonner s’il l’avait offensé.

— Ah ! ah ! de la magnanimité maintenant ! dit Nicolas en souriant. Si tu es tourmenté du besoin d’avoir raison, mettons que tu es dans le vrai, mais je pars tout de même. »

Au dernier moment, cependant, Nicolas eut, en embrassant son frère, un regard étrangement grave.

« Kostia, ne me garde pas rancune ! » dit-il d’une voix tremblante.

Ce furent les seules paroles sincères échangées entre les deux frères. Levine comprit que ces mots signifiaient : « Tu le vois, tu le sais, je m’en vais, nous ne nous reverrons peut-être plus ! » Et les larmes jaillirent de ses yeux. Il embrassa encore son frère sans trouver rien à lui répondre.