Page:Tolstoï - Anna Karénine, 1910, tome 1.djvu/64

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— Comment cela se fait-il ? ne fais-tu pas partie de l’administration ?

— Non, j’y ai renoncé ; je ne vais plus aux assemblées, répondit Levine.

— C’est bien dommage », murmura Serge en fronçant le sourcil.

Pour se disculper, Levine raconta ce qui se passait aux réunions du district.

« C’est toujours ainsi ! interrompit Serge Ivanitch, voilà comme nous sommes, nous autres Russes ! Peut-être est-ce un bon trait de notre nature que cette faculté de constater nos erreurs, mais nous l’exagérons, nous nous plaisons dans l’ironie, qui jamais ne fait défaut à notre langue. Si l’on donnait nos droits, ces mêmes institutions provinciales, à quelque autre peuple de l’Europe, Allemands ou Anglais, ils sauraient en extraire la liberté, tandis que, nous autres, nous ne savons qu’en rire !

— Qu’y faire ? répondit Levine d’un air coupable. C’était mon dernier essai. J’y ai mis toute mon âme ; je n’y puis plus rien ; je suis incapable de…

— Incapable ! interrompit Serge Ivanitch : tu n’envisages pas la chose comme il le faudrait.

— C’est possible, répondit Levine accablé.

— Sais-tu que notre frère Nicolas est de nouveau ici ? »

Nicolas était le frère aîné de Constantin et le demi-frère de Serge ; c’était un homme perdu, qui avait mangé la plus grande partie de sa fortune, et s’était