Page:Tolstoï - Anna Karénine, 1910, tome 1.djvu/67

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trouverait là, car il avait aperçu la voiture des Cherbatzky à l’entrée.

Il faisait un beau temps de gelée ; à la porte du Jardin on voyait, rangés à la file, des traîneaux, des voitures de maître, des isvostchiks, des gendarmes. Le public se pressait dans les petits chemins frayés autour des izbas décorées de sculptures en bois ; les vieux bouleaux du Jardin, aux branches chargées de givre et de neige, semblaient revêtus de chasubles neuves et solennelles.

Tout en suivant le sentier, Levine se parlait à lui-même : « Du calme ! il ne faut pas se troubler ; que veux-tu ? qu’as-tu ? tais-toi, imbécile. » C’est ainsi qu’il interpellait son cœur.

Mais plus il cherchait à se calmer, plus l’émotion le gagnait et lui coupait la respiration. Une personne de connaissance l’appela au passage, Levine ne la reconnut même pas. Il s’approcha des montagnes. Les traîneaux glissaient, puis remontaient au moyen de chaînes ; c’était un cliquetis de ferrailles, un bruit de voix joyeuses et animées. À quelques pas de là on patinait, et parmi les patineurs il la reconnut bien vite, et sut qu’elle était près de lui par la joie et la terreur qui envahirent son âme.

Debout auprès d’une dame, du côté opposé à celui où Levine se trouvait, elle ne se distinguait de son entourage ni par sa pose ni par sa toilette ; pour lui, elle ressortait dans la foule comme une rose parmi les orties, éclairant de son sourire ce qui l’environnait, illuminant tout de sa présence. « Ose-