Page:Tolstoï - Anna Karénine, 1910, tome 1.djvu/73

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.

Quand Levine revint auprès de Kitty, il ne lui trouva plus le visage sévère ; ses yeux avaient repris leur expression franche et caressante, mais il lui sembla qu’elle avait un ton de tranquillité voulue, et il se sentit triste. Après avoir causé de la vieille gouvernante et de ses originalités, elle lui parla de sa vie à lui.

« Ne vous ennuyez-vous vraiment pas à la campagne ? demanda-t-elle.

— Non, je ne m’ennuie pas ; je suis très occupé, — répondit-il, sentant qu’elle l’amenait au ton calme qu’elle avait résolu de garder, et dont il ne saurait désormais se départir, pas plus qu’il n’avait su le faire au commencement de l’hiver.

— Êtes-vous venu pour longtemps ? demanda Kitty.

— Je n’en sais rien, répondit-il sans penser à ce qu’il disait. L’idée de retomber dans le ton d’une amitié calme et de retourner peut-être chez lui sans avoir rien décidé le poussa à la révolte.

— Comment ne le savez-vous pas ?

— Je n’en sais rien, cela dépendra de vous », dit-il, et aussitôt il fut épouvanté de ses propres paroles.

N’entendit-elle pas ces mots, ou ne voulut-elle pas les entendre ? elle sembla faire un faux pas sur la glace et s’éloigna pour glisser vers Mlle Linon, lui dit quelques mots et se dirigea vers la petite maison où l’on ôtait les patins.

« Mon Dieu, qu’ai-je fait ? Seigneur Dieu, aidez-