Page:Tolstoï - Anna Karénine, 1910, tome 1.djvu/84

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— Eh bien, que me diras-tu ? demanda Levine d’une voix qui tremblait, et sentant tressaillir chacun des muscles de son visage. Comment considères-tu la chose ? »

Stépane Arcadiévitch but lentement son verre de chablis, en regardant toujours Levine.

« Moi, répondit-il, je ne désire rien autant que cela, rien !

— Mais ne te trompes-tu pas ? sais-tu de quoi nous parlons, murmura Levine, le regard fixé fiévreusement sur son interlocuteur. Tu crois vraiment que c’est possible ?

— Pourquoi ne le serait-ce pas ?

— Vraiment, bien sincèrement ? Dis tout ce que tu penses. Songe donc, si j’allais au-devant d’un refus ? et j’en suis presque certain !

— Pourquoi donc ? dit Stépane Arcadiévitch en souriant de cette émotion.

— C’est l’effet que cela me fait. Ce serait terrible, pour moi et pour elle !

— Oh ! en tout cas je ne vois là rien de si terrible pour elle : une jeune fille est toujours flattée d’être demandée en mariage.

— Les jeunes filles en général, peut-être : mais pas elle. »

Stépane Arcadiévitch sourit ; il connaissait parfaitement les sentiments de Levine, et savait que pour lui toutes les jeunes filles de l’univers se divisaient en deux catégories : dans l’une, toutes les jeunes filles existantes, ayant toutes les faiblesses humaines en partage, des jeunes filles bien ordi-