Page:Tolstoï - Anna Karénine, 1910, tome 2.djvu/12

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— Mais ne les aimez-vous pas tous, ces plaisirs ? dit Anna avec un regard triste qui le frappa encore.

— Pourquoi le défends-tu ainsi ? demanda-t-il en souriant.

— Je ne le défends pas, il m’est trop indifférent pour cela, mais je ne puis m’empêcher de croire que si cette existence t’avait tant déplu, tu aurais pu te dispenser d’aller admirer cette Thérèse en costume d’Ève.

— Voilà le diable qui revient ! dit Wronsky attirant vers lui pour la baiser une des mains d’Anna.

— Oui, c’est plus fort que moi ! tu ne t’imagines pas ce que j’ai souffert en t’attendant ! Je ne crois pas être jalouse au fond ; quand tu es là, je te crois ; mais quand tu es au loin à mener cette vie incompréhensible pour moi… »

Elle s’éloigna de lui et se prit à travailler fébrilement, en filant avec son crochet des mailles de laine blanche que la lumière de la lampe rendait brillantes.

« Raconte-moi comment tu as rencontré Alexis Alexandrovitch, demanda-t-elle tout à coup d’une voix encore contrainte.

— Nous nous sommes presque heurtés à la porte.

— Et il t’a salué comme cela ? » Elle allongea son visage, ferma à demi les yeux, et changea l’expression de sa physionomie à tel point que Wronsky ne put s’empêcher de reconnaître Alexis Alexandrovitch. Il sourit, et Anna se mit à rire, de ce rire frais et sonore qui faisait un de ses grands charmes.