Page:Tolstoï - Anna Karénine, 1910, tome 2.djvu/17

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perfectionnée qu’Alexis Alexandrovitch entrevoyait la possibilité d’éluder les principales difficultés de forme.

Un malheur ne venant jamais seul, il éprouvait tant d’ennuis relativement à la question soulevée par lui sur les étrangers, qu’il se sentait depuis quelque temps dans un état d’irritation perpétuelle. Il passa la nuit sans dormir, sa colère grandissant toujours, et ce fut avec une véritable exaspération qu’il quitta son lit, s’habilla à la hâte, et se rendit chez Anna aussitôt qu’il la sut levée. Il craignait de perdre l’énergie dont il avait besoin, et ce fut en quelque sorte à deux mains qu’il porta la coupe de ses griefs, afin qu’elle ne débordât pas en route.

Anna, qui croyait connaître à fond son mari, fut saisie en le voyant entrer le front sombre, les yeux tristement fixés devant lui sans la regarder, et les lèvres serrées avec mépris. Jamais elle n’avait vu autant de décision dans son maintien. Il entra sans lui souhaiter le bonjour, et alla droit au secrétaire, dont il ouvrit le tiroir.

« Que vous faut-il ? s’écria Anna.

— Les lettres de votre amant.

— Elles ne sont pas là, » dit-elle en fermant le tiroir. Mais il comprit au mouvement qu’elle fit, qu’il avait deviné juste, et, repoussant brutalement sa main, il s’empara du portefeuille dans lequel Anna gardait ses papiers importants ; malgré les efforts de celle-ci pour le reprendre, il la tint à distance.