Page:Tolstoï - Anna Karénine, 1910, tome 2.djvu/190

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Ce n’est pas naturel, dit-il en lui baisant la main.

— Moi, plus je suis heureuse, plus je trouve que c’est naturel.

— Tu as une petite mèche, dit-il en lui tournant la tête avec précaution.

— Une mèche ? laisse-la tranquille : nous nous occupons de choses sérieuses. »

Mais les choses sérieuses étaient interrompues, et lorsque Kousma vint annoncer le thé, ils se séparèrent brusquement comme des coupables.

Resté seul, Levine serra ses cahiers dans un nouveau buvard acheté par sa femme, se lava les mains dans un lavabo élégant, aussi acheté par elle, et, tout en souriant à ses pensées, hocha la tête avec un sentiment qui ressemblait à un remords. Sa vie était devenue trop molle, trop gâtée. C’était une vie de Capoue dont il se sentait un peu honteux. « Cette existence ne vaut rien, pensait-il. Voilà bientôt trois mois que je flâne. Pour la première fois je me suis mis à travailler aujourd’hui, et à peine ai-je commencé que j’y ai renoncé. Je néglige même mes occupations ordinaires, je ne surveille plus rien, je ne vais nulle part. Tantôt j’ai du regret de la quitter, tantôt je crains qu’elle ne s’ennuie : moi qui croyais que jusqu’au mariage l’existence ne comptait pas, et ne commençait réellement qu’après ! Et voilà bientôt trois mois que je passe mon temps d’une façon absolument oisive. Cela ne doit pas continuer. Ce n’est pas de sa faute à elle, et on ne saurait lui faire le moindre reproche. J’aurais dû montrer de la fermeté, défendre mon