Page:Tolstoï - Anna Karénine, 1910, tome 2.djvu/321

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son indépendance ; il a ses intérêts, dit Oblonsky ouvrant la porte.

— Lesquels ? ceux de courir après des filles de ferme ?

— Si cela l’amuse. Ma femme ne s’en trouvera pas plus mal, pourvu que je respecte le sanctuaire de la maison ; mais il ne faut pas se lier les mains.

— Peut-être, répondit sèchement Levine en se retournant. Demain je pars avec l’aurore et ne réveillerai personne, je vous en préviens.

— Messieurs, venez vite ! vint leur dire Vassinka. Charmante ! c’est moi qui l’ai découverte, une véritable Gretchen », ajouta-t-il d’un air approbateur.

Levine fit semblant de sommeiller et les laissa s’éloigner ; il resta longtemps sans pouvoir s’endormir, écoutant les chevaux manger leur foin, le paysan partir avec son fils aîné pour garder les bêtes aux pâturages ; puis le soldat se coucha dans le foin, de l’autre côté de la grange, avec son petit neveu. L’enfant faisait à voix basse des questions sur les chiens, qui lui semblaient des bêtes terribles : l’oncle le fit bientôt taire, et le silence ne fut plus troublé que par ses ronflements.

Levine, tout en restant sous l’impression de sa conversation avec Oblonsky, pensait au lendemain : « Je me lèverai avec le soleil, je saurai garder mon sang-froid ; il y a des bécasses en quantité ; en rentrant peut-être trouverai-je un mot de Kitty. Oblonsky n’a-t-il pas raison de me reprocher de m’efféminer avec elle ? Qu’y faire ? » Il entendit, tout en dormant, ses compagnons rentrer, et ouvrit une se-