Page:Tolstoï - Anna Karénine, 1910, tome 2.djvu/36

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— Tout cela est vieux comme le monde, frère !

— C’est vieux, mais quand cette idée devient claire pour nous, combien la vie paraît misérable ! Quand on sait que la mort viendra, qu’il ne restera rien de nous, les choses les plus importantes semblent aussi mesquines que le fait de tourner cette peau d’ours ! C’est pour ne pas penser à la mort qu’on chasse, qu’on travaille, qu’on cherche à se distraire. »

Stépane Arcadiévitch sourit et regarda Levine de son regard caressant :

« Tu vois bien que tu avais tort en tombant sur moi parce que je cherchais des jouissances dans la vie ! Ne sois pas si sévère, ô moraliste !

— Ce qu’il y a de bon dans la vie… répondit Levine s’embrouillant. Au fond je ne sais qu’une chose, c’est que nous mourrons bientôt.

— Pourquoi bientôt ?

— Et sais-tu ? la vie offre, il est vrai, moins de charme quand on pense ainsi à la mort, mais elle a plus de calme.

— Il faut jouir de son reste, au contraire… Mais, dit Stépane Arcadiévitch en se levant pour la dixième fois, je me sauve.

— Reste encore un peu ! dit Levine en le retenant ; quand nous reverrons-nous maintenant ? Je pars demain.

— Et moi qui oubliais le sujet qui m’amène ! Je tiens absolument à ce que tu viennes dîner avec nous aujourd’hui ; ton frère sera des nôtres, ainsi que mon beau-frère Karénine.