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Page:Tolstoï - Anna Karénine, 1910, tome 2.djvu/372

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Malgré les instances réitérées de ses hôtes, Dolly fit le lendemain ses préparatifs de départ, et la vieille calèche, avec son attelage dépareillé, s’arrêta sous le péristyle.

Daria Alexandrovna prit froidement congé de la princesse Barbe et des messieurs ; la journée passée en commun ne les avait pas rapprochés. Anna seule était triste ; personne, elle le savait, ne viendrait plus réveiller les sentiments que Dolly avait remués dans son âme, et qui représentaient ce qu’elle avait de meilleur ; bientôt la vie qu’elle menait en étoufferait les derniers vestiges.

Dolly respira librement lorsqu’elle se trouva en pleins champs, et, curieuse de connaître les impressions des domestiques, elle allait les interroger, quand Philippe le cocher se retourna.

« Pour des richards, ce sont des richards, dit-il d’un air moins sombre qu’en partant, mais les chevaux n’ont reçu, en tout et pour tout, que trois mesures d’avoine : de quoi ne pas crever de faim. Nous ne ferions pas cela chez nous.

— C’est un maître avare, confirma le teneur de livres.

— Mais ses chevaux sont beaux ?

— Oui, quant à cela il n’y a rien à dire, et la nourriture aussi est bonne ; mais, je ne sais si cela vous a fait le même effet, Daria Alexandrovna, je me suis ennuyé, — et il tourna son honnête figure vers elle.

— Moi aussi, je me suis ennuyée. Crois-tu que nous arriverons ce soir ?