Page:Tolstoï - Anna Karénine, 1910, tome 2.djvu/430

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cial. Il écoutait Anna, admirait son intelligence, la culture de son esprit, son tact, son naturel, et cherchait à pénétrer les replis de sa vie intime, de ses sentiments. Lui, si prompt à la juger et si sévère jadis, ne songeait plus qu’à l’excuser, et la pensée qu’elle n’était pas heureuse, et que Wronsky ne la comprenait pas, lui serrait le cœur. Il était plus de onze heures lorsque Stépane Arcadiévitch se leva pour partir ; Varkouef les avait déjà quittés depuis quelque temps. Levine se leva aussi, mais à regret ; il croyait être là depuis un moment seulement !

« Adieu, lui dit Anna en retenant une de ses mains dans les siennes avec un regard qui le troubla. Je suis contente que la glace soit rompue. Dites à votre femme que je l’aime comme autrefois, et si elle ne peut me pardonner ma situation, dites-lui combien je souhaite que jamais elle ne vienne à la comprendre. Pour pardonner, il faut avoir souffert, et que Dieu l’en préserve !

— Je le lui dirai », répondit Levine en rougissant.


CHAPITRE XI


« Pauvre et charmante femme ! » pensa Levine en se retrouvant dans la rue à l’air glacé de la nuit.

« Que t’avais-je dit ? lui demanda Oblonsky en le voyant conquis : n’avais-je pas raison ?

— Oui, répondit Levine d’un air pensif, cette femme est vraiment remarquable, et la séduction qu’elle exerce ne tient pas seulement à son esprit : on sent qu’elle a du cœur. Elle fait peine !