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Page:Tolstoï - Anna Karénine, 1910, tome 2.djvu/456

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— Je croyais, dit tout à coup Karénine d’une voix perçante, qu’Anna Arcadievna avait obtenu tout ce qu’elle souhaitait ?

— Ne récriminons pas, Alexis Alexandrovitch ; le passé ne nous appartient plus ; ce qu’elle attend maintenant, c’est le divorce.

— J’avais cru comprendre qu’au cas où je garderais mon fils, Anna Arcadievna refusait le divorce ? Mon silence équivalait donc à une réponse, car je considère cette question comme jugée, dit-il en s’animant de plus en plus.

— Ne nous échauffons pas, de grâce, dit Stépane Arcadiévitch touchant le genou de son beau-frère ; récapitulons plutôt. Au moment de votre séparation, avec une générosité inouïe, tu lui laissais ton fils et acceptais le divorce ; elle s’est alors sentie trop coupable envers toi, trop humiliée, pour accepter : mais l’avenir lui a prouvé qu’elle s’était créé une situation intolérable.

— La situation d’Anna Arcadievna ne m’intéresse en rien, dit Karénine en levant les sourcils.

— Permets-moi de ne pas le croire, répondit Oblonsky avec douceur ; mais en admettant qu’elle ait, selon toi, mérité de souffrir, le fait est que nous sommes tous malheureux, et que nous te supplions de la prendre en pitié ; à qui ses souffrances profitent-elles ?

— En vérité, ne dirait-on pas que c’est moi que vous en accusez ?

— Mais non, dit Stépane Arcadiévitch, touchant cette fois le bras de Karénine comme s’il