Page:Tolstoï - Anna Karénine, 1910, tome 2.djvu/541

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ans, qu’il faudra la porter en terre, tout comme cette jolie fille adroite qui fait l’élégante, comme ce cheval fatigué attelé au manège, comme Fedor qui surveille la batteuse et commande avec tant d’autorité aux femmes, – et il en sera de même de moi… Pourquoi ? » et machinalement, tout en réfléchissant, il consultait sa montre afin de fixer la tâche aux ouvriers.

L’heure du dîner ayant sonné, Levine laissa les travailleurs se disperser, et, s’appuyant à une belle meule de blé préparé pour les semences, il engagea la conversation avec Fedor, et le questionna au sujet d’un riche paysan nommé Platon, qui se refusait à louer le champ jadis mis en association, et qu’un paysan avait exploité l’année précédente.

« Le prix est trop élevé, Constantin Dmitritch, dit Fedor.

— Mais puisque Mitiouck le payait l’an dernier ?

— Platon ne payera pas le même prix que Mitiouck, dit l’ouvrier d’un ton du mépris ; le vieux Platon n’écorcherait pas son prochain ; il a pitié du pauvre monde et ferait crédit au besoin.

— Pourquoi ferait-il crédit ?

— Les hommes ne sont pas tous pareils : tel vit pour son ventre, comme Mitiouck, toi pour son âme, pour Dieu, comme le vieux Platon.

— Qu’appelles-tu vivre pour son âme, pour Dieu ? cria presque Levine.

— C’est bien simple : vivre selon Dieu, selon