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Page:Tolstoï - Anna Karénine, 1910, tome 2.djvu/63

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Levine avait tant de fois remarqué que, dans les longues discussions, de grands efforts de logique et une dépense de paroles considérable ne produisent le plus souvent aucun résultat, qu’il sourit de bonheur en entendant Kitty deviner et définir sa pensée avec cette concision. Cherbatzky s’éloigna, et la jeune fille s’approcha d’une table de jeu, s’assit, et se mit à tracer des cercles sur le drap avec de la craie.

« Bon Dieu ! j’ai couvert la table de mes griffonnages, dit-elle en déposant la craie, après un moment de silence, avec un mouvement qui indiquait l’intention de se lever.

— Comment ferai-je pour rester sans elle ? pensa Levine avec terreur.

— Attendez, dit-il en s’asseyant près de la table. Il y a longtemps que je voulais vous demander une chose. »

Elle le regarda de ses yeux caressants, mais un peu inquiets.

« Demandez.

— Voici », dit-il, prenant la craie et écrivant les lettres q, v, a, d, c, e, i, e, i, a, o, t ? qui étaient les premières des mots : « Quand vous avez dit c’est impossible, était-ce impossible alors ou toujours ? » Il était peu vraisemblable que Kitty pût comprendre cette question compliquée. Levine la regarda néanmoins de l’air d’un homme dont la vie dépendait de l’explication de cette phrase.

Elle réfléchit sérieusement, appuya le front sur sa main, et se mit à déchiffrer avec attention, interrogeant parfois Levine des yeux.