Page:Tolstoï - Guerre et Paix, Hachette, 1901, tome 1.djvu/157

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« Je vous répète que vous devez présenter vos excuses au colonel, disait le capitaine en second, Kirstein ; le capitaine Kirstein avait des cheveux grisonnants, d’énormes moustaches, des traits accentués, un visage ridé ; redevenu deux fois simple soldat pour affaires d’honneur, il avait toujours su reconquérir son rang.

— Je ne permettrai à personne de dire que je mens, s’écria Rostow, le visage enflammé et tremblant d’émotion… Il m’a dit que j’en avais menti, à quoi je lui ai répondu que c’était lui qui en avait menti… Cela en restera là !… On peut me mettre de service tous les jours et me flanquer aux arrêts, mais quant à des excuses, c’est autre chose, car si le colonel juge indigne de lui de me donner satisfaction, alors…

— Mais voyons, écoutez-moi, dit Kirstein en l’interrompant de sa voix de basse, et il lissait avec calme ses longues moustaches. Vous lui avez dit, en présence de plusieurs officiers, qu’un de leurs camarades avait volé ?

— Ce n’est pas ma faute si la conversation a eu lieu devant témoins. J’ai peut-être eu tort, mais je ne suis point un diplomate ; c’est pour cela que je suis entré dans les hussards, persuadé qu’ici toutes ces finesses étaient inutiles, et là-dessus il me lance un démenti à la figure. Eh bien… qu’il me donne satisfaction !

— Tout cela est fort bien, personne ne doute de votre courage, mais là n’est pas la question. Demandez plutôt à Denissow s’il est admissible que vous, un « junker », vous puissiez demander satisfaction au chef de votre régiment ? »

Denissow mordillait sa moustache d’un air sombre, sans prendre part à la discussion ; mais à la question de Kirstein il secoua négativement la tête.

« Vous parlez de cette vilenie au colonel devant des officiers ?… Bogdanitch a eu parfaitement raison de vous rappeler à l’ordre.

— Il ne m’a pas rappelé à l’ordre, il a prétendu que je ne disais pas la vérité.

— C’est ça, et vous lui avez répondu des bêtises… vous lui devez donc des excuses.

— Pas le moins du monde.

— Je ne m’attendais pas à cela de vous, reprit gravement le capitaine en second, car vous êtes coupable non seulement envers lui, mais envers tout le régiment. Si au moins vous aviez réfléchi, si vous aviez pris conseil avant d’agir, mais