Page:Tolstoï - Guerre et Paix, Hachette, 1901, tome 1.djvu/267

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« Frr… Frr… ! Au nom de son élève et fils, le prince te demande si tu veux, oui ou non, devenir la femme du prince Anatole Kouraguine ? Oui ou non, dis-le, s’écria-t-il ; je me réserve ensuite le droit de faire connaître mon opinion… oui, mon opinion, rien que mon opinion, ajouta-t-il en répondant au regard suppliant du prince Basile… Eh bien ! oui ou non ?

— Mon désir, mon père, est de ne jamais vous quitter, de ne jamais séparer mon existence de la vôtre. Je ne veux pas me marier, répondit la princesse Marie, en adressant un regard résolu de ses beaux yeux au prince Basile et à son père.

— Folies, bêtises, bêtises, bêtises ! » s’écria le vieux prince, en attirant sa fille à lui, et en lui serrant la main avec une telle violence, qu’elle cria de douleur.

Le prince Basile se leva.

« Ma chère Marie, c’est un moment que je n’oublierai jamais ; mais dites-moi, ne nous donnerez-vous pas un peu d’espérance ? Ne pourra-t-il toucher votre cœur si bon, si généreux ? Je ne vous demande qu’un seul mot : peut-être ?

— Prince, j’ai dit ce que mon cœur m’a dicté, je vous remercie de l’honneur que vous m’avez fait, mais je ne serai jamais la femme de votre fils !

— Voilà qui est terminé, mon cher ; très content de te voir, très content. Retourne chez toi, princesse… Très content, très content, » répéta le vieux prince, en embrassant le prince Basile.

« Je suis appelée à un autre bonheur, se disait la princesse Marie, je serai heureuse en me dévouant et en faisant le bonheur d’autrui, et, quoi qu’il m’en coûte, je n’abandonnerai pas la pauvre Amélie. Elle l’aime si passionnément et s’en repent si amèrement. Je ferai tout pour faciliter son mariage avec lui. S’il manque de fortune, je lui en donnerai à elle, et je prierai mon père et André d’y consentir !… Je me réjouirais tant de la voir sa femme, elle si triste, si seule, si abandonnée !… Comme elle doit l’aimer pour s’être oubliée ainsi ! Qui sait ? J’aurais peut-être agi de même ! »


VI

La famille Rostow se trouvait depuis longtemps sans nouvelles de Nicolas, lorsque dans le courant de l’hiver le comte