encore davantage, de ces Français ; ce sont des misérables ; j’en aurais tué tant et tant que j’en aurais fait une montagne, voilà !
— Tais-toi donc, Pétia, tu es un imbécile !
— Ce n’est pas moi qui suis un imbécile, c’est vous qui êtes des sottes ! Peut-on pleurer pour des bagatelles ?
— Tu te le rappelles ? demanda Natacha après un moment de silence.
— Si je me rappelle Nicolas ? dit Sonia en souriant.
— Mais non, Sonia… je veux dire… te le rappelles-tu bien… clairement ?… te rappelles-tu tout ?… disait avec force gestes Natacha, qui tâchait de donner à ses paroles une signification sérieuse. Moi, je me rappelle Nicolas… très bien. Quant à Boris, je ne me souviens plus de lui, mais là, pas du tout.
— Comment ! tu ne te souviens pas de Boris ? demanda Sonia stupéfaite.
— Ce n’est pas que je l’aie oublié,… je sais bien comment il est ! Quand je ferme les yeux, je vois Nicolas, mais Boris… »
Et elle ferma les yeux.
« Il n’y a plus rien, rien !
— Ah ! Natacha, » dit Sonia avec une exaltation sérieuse ; elle la regardait sans doute comme indigne d’entendre ce qu’elle allait lui dire, ce qui ne l’empêcha pas d’accentuer malgré elle ses paroles avec une conviction émue : « J’aime ton frère, et quoi qu’il nous arrive, à lui ou à moi, je ne cesserai de l’aimer ! »
Natacha la regardait de ses yeux curieux : elle sentait que Sonia venait de dire la vérité, que c’était de l’amour et qu’elle n’avait jamais encore éprouvé rien de pareil ; elle voyait, mais sans le comprendre, que cela pouvait exister !
« Lui écriras-tu ? »
Sonia réfléchit, car c’était une question qui la préoccupait depuis longtemps. Comment lui écrirait-elle ? Et d’abord fallait-il lui écrire ? Maintenant qu’il était un officier, et un héros blessé, le moment était venu, croyait-elle, de se rappeler à son souvenir et de lui rappeler ainsi l’engagement qu’il avait pris à son égard :
« Je ne sais pas ; s’il m’écrit, je lui écrirai, répondit-elle en rougissant.
— Et ça ne t’embarrassera pas ?