Page:Tolstoï - Guerre et Paix, Hachette, 1901, tome 1.djvu/390

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disposé ce soir-là… Je savais bien que ce ne serait pas assez ! T’en faut-il beaucoup ?

— Oui, beaucoup, répliqua-t-il, en affectant un laisser-aller niais et indifférent. Oui, j’ai un peu perdu, pas mal, beaucoup même, 43 000 roubles !

— Comment ? Avec qui ?… mais c’est une plaisanterie ! s’écria le comte, dont la nuque se couvrit d’une rougeur apoplectique.

— Je me suis engagé à payer demain !

— Oh ! fit le père avec un geste de désespoir, et en se laissant tomber sans force sur le canapé.

— Qu’y faire ! continua Nicolas, d’un ton assuré et hardi. Cela arrive à tout le monde… » et pendant qu’il parlait, ainsi il se traitait au fond de son cœur de misérable, de lâche : sa conscience lui disait que toute sa vie ne suffirait pas à expier sa faute, et pendant qu’il assurait à son père, d’un ton grossier, que « cela arrivait à tout le monde », il avait envie de se jeter à ses genoux, de lui baiser la main et d’implorer se pardon.

À ces mots, le vieux comte baissa les yeux et s’agita d’un air embarrassé :

« Oui, oui, dit-il… seulement je crains… il me sera difficile de trouver… À qui n’est-ce pas arrivé ? à qui n’est-ce pas arrivé ?… » et jetant un coup d’œil à son fils, il se dirigea vers la porte… Nicolas, qui s’attendait à des reproches, ne put y tenir plus longtemps :

« Papa ! Papa ! pardonnez-moi, » s’écria-t-il en éclatant en sanglots, alors saisissant la main de son père et pleurant comme un enfant, il la porta vivement à ses lèvres.


Pendant que le fils avait cette explication avec son père, un entretien non moins grave avait lieu entre la mère et la fille :« Maman !… Maman ! il me l’a faite !

— Que veux-tu dire ?

— Il m’a fait sa déclaration, maman ! »

La comtesse n’en croyait pas ses oreilles… Comment ! Denissow avait fait une déclaration à cette fillette de Natacha, qui, il y a quelques jours à peine, jouait à la poupée et prenait encore des leçons !

« Voyons, Natacha, pas de bêtises ! lui dit avec douceur la comtesse, qui espérait lui faire avouer que ce n’était qu’une plaisanterie.