Page:Tolstoï - Guerre et Paix, Hachette, 1901, tome 1.djvu/396

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gard ferme et sévère, qui le troubla tout en l’attirant d’une façon irrésistible.


II

« J’ai l’honneur, si je ne me trompe, de parler au comte Besoukhow ? » dit l’inconnu à haute voix et sans se hâter.

Pierre le regarda d’un air interrogateur par-dessus ses lunettes.

« J’ai entendu parler de vous, continua son interlocuteur, du malheur qui vous est arrivé !… » En soulignant le mot« malheur », il semblait dire : « Vous avez beau donner à la chose le nom que vous voudrez, c’est « un malheur » … « Je le regrette infiniment pour vous, monsieur. »

Pierre rougit, posa ses pieds à terre et se pencha, intimidé et souriant, vers le vieillard.

« Des raisons plus graves que la curiosité m’obligent à vous le rappeler, » continua-t-il après un moment de silence, sans détourner ses yeux de Besoukhow, et il se recula un peu sur le canapé, l’invitant par ce mouvement à venir prendre place près de lui.

Bien que Pierre ne fût pas disposé à la causerie, il s’y résigna et alla s’asseoir à ses côtés.

« Vous êtes malheureux, monsieur ; vous êtes jeune, je suis vieux, et j’aurais voulu vous venir en aide dans la mesure de mes forces.

— Ah ! oui, dit Pierre avec un sourire contraint : je vous suis bien reconnaissant… Venez-vous de loin, monsieur ?

— Si, pour une raison ou pour une autre, ma conversation vous était désagréable, dites-le-moi… » Et tout à coup sa voix devint tendre et paternelle.

« Oh ! non, bien au contraire, je suis très heureux de faire votre connaissance… » Et les yeux de Pierre, attirés par la bague, y aperçurent la tête de mort, signe habituel de la franc-maçonnerie.

« Permettez-moi de vous demander si vous êtes franc-maçon ?

— Oui, monsieur, j’appartiens à cet ordre… En mon nom et au sien, je vous tends une main fraternelle.

— Je crains, dit Pierre, en hésitant entre la sympathie que lui inspirait ce vieillard et les plaisanteries dont les francs-