Page:Tolstoï - Guerre et Paix, Hachette, 1901, tome 1.djvu/403

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mort, amitié fraternelle… » paroles vagues, qui symbolisaient pour lui une vie toute nouvelle. La porte s’ouvrit, et un homme de petite taille entra ; la brusque transition de la lumière aux demi-ténèbres de cette chambre le fit s’arrêter un instant, et il avança avec prudence vers la table, sur laquelle il posa ses mains gantées.

Ce petit homme portait un tablier de cuir blanc, qui descendait de sa poitrine jusque sur ses pieds, et sur lequel s’étalaient, autour de son cou, une sorte de collier et une haute fraise entourant sa figure allongée par le bas.

« Pourquoi êtes-vous venu ici ? demanda le nouveau venu, en se tournant du côté de Pierre. Pourquoi vous, incrédule à la vérité, aveugle à la lumière, pourquoi êtes-vous venu ici, et que voulez-vous de nous ? Est-ce la sagesse, la vertu et le progrès que vous cherchez ? »

Au moment où la porte s’était ouverte, Pierre avait éprouvé la même terreur religieuse qu’il ressentait dans son enfance pendant la confession, lorsqu’il se trouvait tête-à-tête avec un homme qui, dans les conditions habituelles de la vie, lui aurait été complètement étranger, et qui devenait son proche, de par le sentiment de la fraternité humaine. Pierre, ému, s’approcha du second Expert (ainsi s’appelait dans l’ordre maçonnique le frère chargé de préparer le récipiendaire qui demandait l’initiation), et il reconnut un de ses amis, nommé Smolianinow. Cela lui fut désagréable ; il aurait préféré ne voir dans le nouveau venu qu’un frère, qu’un instructeur bienveillant et inconnu. Il fut si longtemps sans répondre que l’Expert renouvela sa question.

« Oui ; je… je… veux me régénérer.

— C’est bien, » dit Smolianinow, et il continua : « Avez-vous une idée des moyens qui sont à notre disposition pour vous aider à atteindre votre but ?

— Je… j’espère… être guidé… secouru…, répondit Pierre d’une voix tremblante qui l’empêchait de s’exprimer nettement.

— Comment comprenez-vous la franc-maçonnerie ?

— Je pense que la franc-maçonnerie est la fraternité et l’égalité parmi les hommes avec un but vertueux.

— C’est bien, dit l’Expert satisfait de sa réponse. Avez-vous cherché le moyen d’y arriver par la religion ?

— Non, l’ayant jugée contraire à la vérité, dit-il si bas que l’Expert eut peine à entendre sa réponse et la lui fit répéter ; j’étais un athée, reprit-il.