Page:Tolstoï - Guerre et Paix, Hachette, 1901, tome 1.djvu/408

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Kouraguine, en faisaient partie. Tous écoutaient dans un silence solennel le Vénérable, qui tenait en main le maillet. Sur la paroi du mur brillait une étoile flamboyante ; l’un des bouts de la table était couvert d’un petit tapis représentant divers attributs, et à l’autre bout s’élevait une sorte d’autel sur lequel étaient l’Évangile et un crâne. Autour de la table étaient placés sept grands chandeliers, comme ceux qu’on voit dans les églises. Pierre fut conduit par deux frères devant l’autel. On lui plaça les pieds en équerre, et on lui intima l’ordre de s’étendre tout de son long, comme s’il déposait sa personne au pied du temple.

« Qu’on lui donne la truelle ! dit un des frères.

— C’est inutile ! » répliqua un autre.

Pierre, ahuri, regarda autour de lui de ses yeux de myope et se demanda avec une certaine hésitation où il était, si l’on ne se moquait pas de lui, et si plus tard il n’aurait pas honte de ce souvenir ; mais son doute ne tarda pas à se dissiper devant les figures sérieuses de ceux qui l’entouraient. Il se dit qu’il ne pouvait plus reculer, et se pénétrant de nouveau d’un esprit de soumission, humble et attendri, il se jeta par terre devant les portes du temple. Au bout de quelques instants, on lui ordonna de se lever, on lui passa un tablier de cuir blanc, pareil à ceux des autres frères, et on lui remit une truelle et trois paires de gants. Le Vénérable lui expliqua alors qu’il devait garder immaculée la blancheur de ce tablier, représentant la force et la pureté ; la truelle était pour lui servir à déraciner de son cœur les vices et à ramener au bien avec charité le cœur du prochain ; il devait conserver la première paire de gants sans en connaître la signification et porter la seconde dans leurs réunions ; la troisième était pour une main de femme : « Elle est destinée, cher frère, à être offerte par vous à la Clandestine, que vous respecterez par-dessus toutes les autres. Ce don sera un gage pour elle de la pureté de votre cœur ; veillez seulement, cher frère, à ce qu’ils ne gantent pas des mains indignes… » Au moment où le Vénérable prononça ces paroles, Pierre crut remarquer qu’il se troublait, et lui-même, regardant autour de lui d’un air inquiet, rougit jusqu’aux larmes, comme rougissent les enfants.

Il s’ensuivit un silence contraint que rompit à l’instant un des frères. Ce frère amena Pierre devant le tapis et lui lut dans un cahier l’explication des différents symboles qui y étaient figurés : le soleil, la lune, le maillet, le plomb, la