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Page:Tolstoï - Guerre et Paix, Hachette, 1901, tome 1.djvu/58

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Natacha se mit à réfléchir.

« Treize, quatorze, quinze, seize, dit-elle en comptant sur ses doigts. Bien, c’est convenu !… »

Et un sourire de confiance et de satisfaction éclaira son petit visage.

« C’est convenu ! reprit Boris.

— Pour toujours, à la vie à la mort ! » s’écria la fillette en lui prenant le bras et en l’emmenant, heureuse et tranquille, dans le grand salon.


XIV

La comtesse, qui s’était sentie fatiguée, avait fait fermer sa porte et donné ordre au suisse d’inviter à dîner tous ceux qui viendraient apporter leurs félicitations. Elle désirait aussi causer en tête-à-tête avec son amie d’enfance, la princesse Droubetzkoï, qui était revenue depuis peu de Pétersbourg.

« Je serai franche avec toi, lui dit-elle en rapprochant son fauteuil de celui de la comtesse : il nous reste, hélas ! si peu de vieux amis, que ton amitié m’est doublement précieuse. »

Et, jetant un regard sur Véra, elle se tut.

La comtesse lui serra tendrement la main.

« Véra, vous ne comprenez donc rien ? »

Elle aimait peu sa fille, et c’était facile à voir.

« Tu ne comprends donc pas que tu es de trop ici. Va rejoindre tes sœurs.

— Si vous me l’aviez dit plus tôt, maman, — répondit la belle Véra avec un certain dédain, mais sans paraître toutefois offensée, — je serais déjà partie… »

Et elle passa dans la grande salle, où elle aperçut deux couples assis, chacun devant une fenêtre et qui semblaient se faire pendants l’un à l’autre.

Elle s’arrêta un moment pour les regarder d’un air moqueur. Nicolas, à côté de Sonia, lui copiait des vers, les premiers de sa composition. Boris et Natacha causaient à voix basse ; ils se turent à l’approche de Véra. Les deux petites filles avaient un air joyeux et coupable qui trahissait leur amour ; c’était charmant et comique tout à la fois, mais Véra ne trouvait cela ni charmant ni comique.