Page:Tolstoï - Guerre et Paix, Hachette, 1901, tome 2.djvu/133

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l’égalité de son allure, tout prêt à doubler le mouvement au moindre signal.

Ils atteignirent bientôt la première troïka, et, après avoir descendu une pente, ils arrivèrent sur une large route de traverse qui longeait une prairie.

« Où sommes-nous ? se demanda Nicolas ; n’est-ce pas la prairie et la colline du bord de la rivière ? Mais non, vraiment, je ne m’y reconnais plus ! C’est du nouveau, de l’inconnu !… Dieu sait où nous sommes !… Enfin n’importe !… » Et, appuyant ses chevaux d’un vigoureux coup de fouet, il continua sa course droit devant lui.

Zakhare retint une seconde son attelage, et tourna son visage couvert de givre vers Nicolas, qui lança sa troïka à fond de train.

« Attention, maître ! » lui cria Zakhare, qui, penché en avant, les bras tendus et faisant claquer sa langue, partit à son tour comme une flèche.

Pendant un moment les deux troïkas volèrent de front, mais bientôt, malgré tous les efforts de Zakhare, Nicolas gagna de l’avance, et le dépassa enfin, rapide comme l’éclair ; un tourbillon de neige fine, soulevé par les pieds de ses chevaux, s’abattit sur la troïka rivale, les patins grincèrent, les femmes poussèrent des cris aigus, et les deux attelages, confondant et enchevêtrant leurs ombres fugitives, luttèrent entre eux de vitesse.

Nicolas, modérant l’ardeur des chevaux, regarda autour de lui ; devant, derrière, partout s’étendait à perte de vue la plaine féerique, parsemée d’étoiles d’argent et toute baignée de lumière : « Zakhare me crie de prendre à gauche… Pourquoi à gauche ? pensa-t-il. On dirait que nous allons chez les Mélukow ?… Pas du tout, nous allons à l’aventure, et à la grâce de Dieu !… Comme tout cela est étrange et charmant à la fois !… » Et il se retourna vers ceux qu’il menait.

« Vois donc sa barbe et ses cils, qui sont tout blancs, » dit tout à coup l’un des deux jolis et fantastiques jeunes gens, aux sourcils arqués et à la fine moustache.

« Celui qui vient de parler, c’est Natacha, je crois, se dit Nicolas, et ce Tcherkesse là-bas, qui est-ce donc ?… je ne le connais pas, mais je l’aime ! »

« N’êtes-vous pas transies ? » Elles lui répondirent par un éclat de rire. Dimmler s’égosillait de son côté ; ce qu’il disait devait être drôle, car on riait aux éclats dans son traîneau.

« De mieux en mieux, se disait à lui-même Nicolas, nous