Page:Tolstoï - Guerre et Paix, Hachette, 1901, tome 2.djvu/266

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avec chaleur, et, tirant de sa poche un manuscrit, il demanda la permission d’en faire la lecture. Dans cet exposé, très détaillé, il proposait une combinaison toute contraire au plan de campagne du général suédois et de Pfuhl. Paulucci l’attaqua, et conseilla un mouvement offensif qui mettrait fin à l’incertitude, et nous tirerait de ce « traquenard », ainsi qu’il appelait le camp de Drissa. Pfuhl et son interprète Woltzogen avaient gardé le silence pendant ces discussions orageuses ; le premier se bornait à laisser échapper des interjections inintelligibles et se détournait même parfois, d’un air de dédain, comme s’il voulait faire bien constater qu’il ne s’abaisserait jamais à réfuter de pareilles sornettes. Le prince Volkhonsky, président des débats, l’interpella à son tour et le pria d’exprimer son avis ; il se contenta de lui répondre qu’il était inutile de le lui demander, car on savait sûrement mieux que lui ce qui restait à faire.

« Vous avez, dit-il, le choix entre la position si admirablement choisie par le général Armfeld, avec l’ennemi sur les derrières de l’armée, et l’attaque conseillée par le seigneur italien…, ou bien, ce qui serait encore mieux, une belle et bonne retraite ! » Volkhonsky, fronçant les sourcils à cette boutade, lui rappela qu’il lui parlait au nom de l’Empereur. Pfuhl se leva aussitôt, et reprit avec une excitation croissante :

« On a tout gâté, tout embrouillé ; on a voulu faire mieux que moi, et maintenant c’est derechef à moi que l’on s’adresse !… Quel est le remède, dites-vous ? Je n’en sais rien !… Je vous répète qu’il faut tout exécuter à la lettre, sur les bases que je vous ai précisées, s’écria-t-il en frappant la table de ses doigts osseux. — Où est la difficulté ? Elle n’existe pas !… Sornettes ! jeux d’enfants !… » Et, se rapprochant de la carte, il indiqua rapidement différents points, en démontrant au fur et à mesure qu’aucun hasard ne saurait ni déjouer son plan, ni annuler l’utilité du camp de Drissa, que tout était prévu, calculé à l’avance, et que si l’ennemi le tournait, il courrait nécessairement à sa perte.

Paulucci, qui ne parlait pas l’allemand, lui adressa quelques questions en français. Comme Pfuhl s’exprimait fort mal dans cette langue, Woltzogen vint à son secours, et traduisit, avec une extrême volubilité, les explications de Pfuhl, destinées uniquement à prouver que toutes les difficultés contre lesquelles on se heurtait dans ce moment, provenaient uniquement de l’inexactitude apportée à l’exécution de son plan. Enfin, sem-