— Il serait possible que le théâtre de la guerre se rapprochât de nous, poursuivit Dessalles.
— Ha ! ha ! ha ! le théâtre de la guerre ? répliqua le prince. Je l’ai dit et je le répète : le théâtre de la guerre est en Pologne, et l’ennemi n’ira jamais plus loin que le Niémen. »
Dessalles le regarda stupéfait : parler du Niémen lorsque l’ennemi se trouvait déjà sur le Dnièpre ! Seule la princesse, oubliant sa géographie, acceptait à la lettre les paroles de son père.
« À la fonte des neiges, ils seront tous engloutis dans les marais de la Pologne ; Bennigsen aurait dû depuis longtemps entrer en Prusse, l’affaire aurait marché autrement, » continua le prince, qui se reportait évidemment à la campagne de l’année 1807.
— Mais, prince, dit Dessalles encore plus timidement, dans cette lettre il est question de l’occupation de Vitebsk…
— Dans la lettre ?… Ah oui, oui ! reprit-il… et sa physionomie s’assombrit : — C’est vrai, il écrit… que les Français ont été battus, je ne sais où… près d’une rivière quelconque ! »
Dessalles baissa les yeux :
« Le prince André ne parle pas de cela, dit-il doucement.
— Il n’en parle pas ?… Je ne l’ai pas inventé, pourtant. »
Un long silence suivit ces mots :
« Eh bien, eh bien, Michel Ivanovitch, dit-il tout à coup, explique-moi comment tu penses remédier à ce défaut dans notre plan ? »
Michel Ivanovitch ne se le fit pas répéter, et le prince, après l’avoir écouté quelques instants, quitta le salon, en jetant à sa fille et à Dessalles un regard irrité.
La princesse Marie surprit sur le visage du gouverneur un profond étonnement, mais elle n’osa ni lui en demander la cause, ni chercher à la deviner. La fameuse lettre fut oubliée par son père sur la table du salon… Michel Ivanovitch vint la réclamer dans le courant de la soirée ; la princesse Marie la lui donna, et s’informa, bien que la question l’embarrassât singulièrement, de ce que faisait son père.
« Il s’agite !… répondit l’architecte, avec un sourire respectueux mais ironique, qui la fit pâlir. La construction de la nouvelle maison le préoccupe beaucoup… il a lu quelques pages, et maintenant il est à farfouiller dans son bureau… il fait probablement son testament. » Depuis quelque temps le