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Page:Tolstoï - Guerre et Paix, Hachette, 1901, tome 2.djvu/36

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V., G., O., sont venus me parler de la réception d’un nouvel adepte. Puis on a passé à l’explication des sept colonnes et des sept marches du Temple, des sept sciences, des sept vertus, des sept vices et des sept dons du Saint-Esprit. Frère O. très éloquent. Ce soir a eu lieu la réception. La nouvelle organisation du local a contribué à la beauté du spectacle. Boris Droubetzkoï a été reçu, j’ai été son parrain. Un étrange sentiment me bouleversait pendant notre tête-à-tête, et les mauvaises pensées m’assaillaient : je l’accusais, en se faisant affilier à notre ordre, de n’avoir d’autre but que d’obtenir la faveur de nos frères puissants dans le monde. Il m’a demandé à plusieurs reprises si N. et S. étaient de notre loge (ce à quoi je n’ai pu répondre). Je l’ai observé, je le crois incapable de ressentir du respect pour notre saint ordre. Il est trop occupé, trop satisfait de l’homme extérieur, pour désirer le perfectionnement intérieur. Je crois qu’il manque de sincérité et je me suis aperçu qu’il souriait avec mépris à mes paroles. Pendant que nous étions seuls, dans l’obscurité du Temple, je l’aurais volontiers percé du glaive nu que je tenais devant sa poitrine. Je n’ai pas été éloquent et je n’ai pu faire partager mes doutes aux frères et au Vénérable. Que le grand Architecte de l’Univers me guide dans les voies de la vérité et me fasse sortir du labyrinthe du mensonge !

« 3 décembre. — Réveillé tard, lu l’Évangile avec froideur. Sorti de ma chambre, marché dans la salle, impossible de penser. Boris Droubetzkoï est venu, et a raconté un tas d’histoires ; sa présence m’a agacé, je l’ai contredit. Il m’a répondu, je me suis fâché, et je lui ai répliqué par des choses désagréables et grossières. Il s’est tu, et je ne me suis rendu compte de ma conduite que trop tard. Je ne sais jamais me contenir avec lui ; la faute en est à mon amour-propre, car je me regarde comme au-dessus de lui, ce qui est mal ; il est indulgent pour mes faiblesses, tandis que moi, je le méprise. Mon Dieu, fais en sorte qu’en sa présence je voie toute mon iniquité et qu’elle puisse lui profiter également !

« 7 décembre. — Le Bienfaiteur m’est apparu en rêve ; son visage rajeuni brillait d’un éclat surprenant. Reçu aujourd’hui même une lettre de lui sur les devoirs du mariage. Viens, Seigneur, à mon secours ; je périrai par ma corruption, si tu m’abandonnes ! »