Tout le code des lois humaines se résumait pour elle en une seule loi simple et précise : celle de la charité et du dévouement, telle que nous l’a enseignée Celui qui, étant Dieu, a souffert par amour pour les hommes. Que lui importait après cela la justice ou l’injustice d’autrui, lorsqu’elle ne connaissait d’autre devoir que d’aimer et de souffrir ?… et ce devoir, elle le remplissait sans se plaindre !
Le prince André passa pendant l’hiver quelques jours à Lissy-Gory ; sa gaieté et sa tendresse affectueuse, si rares dans le passé, firent pressentir à sa sœur une cause à cette transformation ; mais, sauf un long entretien qu’elle avait surpris entre le père et le fils au moment du départ de ce dernier, et qui lui avait paru les laisser tous deux mécontents, elle n’en sut pas davantage.
Peu de temps après, elle envoya à son amie Julie Karaguine, qui était en deuil de son frère, tué en Turquie, une longue lettre. Comme toutes les jeunes filles, elle avait toujours caressé un rêve, celui de voir Julie devenir sa belle-sœur. Cette lettre était ainsi conçue :
« Chère et tendre amie, les chagrins sont, je le vois, la part de chacun en ce monde. Votre perte est si cruelle que je ne puis la comprendre autrement que comme une grâce particulière du Seigneur, qui, dans son amour pour vous et votre excellente mère, tient à vous éprouver ! Ah ! chère amie, la religion, la religion seule, peut, je ne dis point nous consoler, mais nous sauver du désespoir ; elle peut seule nous expliquer ce qui sans son aide reste impénétrable à l’homme ; pourquoi Dieu appelle-t-il justement à lui des êtres bons, nobles, heureux, et qui font le bonheur des autres, tandis que les êtres méchants, nuisibles, continuent à vivre et à être un fardeau pour tous ? La première mort que j’ai vue a été celle de ma chère belle-sœur… elle produisit sur moi une impression profonde, et je ne l’oublierai jamais ! Comme vous, qui demandez aujourd’hui au sort pourquoi votre charmant frère vous a été enlevé, je me demandais aussi alors pourquoi Lise, ce pauvre ange, dont toutes les pensées étaient la pureté même, nous avait quittés. Et que vous dirai-je, mon amie ? Cinq ans se sont écoulés depuis lors, et ma faible intelligence commence seulement à pénétrer le mystère de sa mort ; j’y vois un témoignage manifeste de la miséricorde infinie de Dieu, dont tous les actes, trop souvent incompris, sont les preuves constantes de